Le tabou des 60 ans

Publié le par Dante QUINSON



10 avril 2008 – L’express.fr – Retraite : le tabou des 60 ans – Corinne Lhaïk -
 

Officiellement, seul le Medef veut reculer l'âge légal de départ. Cette remise en question risque pourtant de s'immiscer dans les débats en cours.

C'est le sujet dont il ne faut pas parler: le recul de l'âge légal de départ à la retraite, actuellement fixé à 60 ans. Seul le Medef s'aventure avec insistance sur ces terres dangereuses... ce qui rend l'idée encore moins populaire! Officiellement, le gouvernement s'en tient à la poursuite de l'application de la loi Fillon du 21 août 2003: elle ne touche pas aux 60 ans, mais prévoit un nouvel allongement de la durée de cotisation (de 40 à 41 ans) à partir du 1er janvier 2009.

Les syndicats s'opposent à cette mesure, mais la plupart d'entre eux s'y résignent et vont tenter de négocier le maximum de contreparties (indexation des retraites, prise en compte de la pénibilité, etc.).

Pourtant, la question du recul de l'âge légal chemine: il serait, selon ses partisans, la meilleure manière de répondre à la fois au problème du financement des retraites et à celui du trop faible taux d'emploi des plus de 55 ans.

Si Xavier Bertrand, ministre des Relations sociales, affiche sa prudence coutumière, il fait calculer le gain attendu d'une augmentation de l'âge légal et veut verser cette pièce au débat. Ira-t-il plus loin pour se poser en véritable réformateur? «Il le fera s'il sent que ce n'est pas trop dangereux», assure un ministre. En tout cas, il s'énerve contre certains syndicalistes qui, en privé, reconnaissent le caractère inéluctable d'une telle mesure mais se feraient arracher la langue plutôt que d'en parler publiquement!

En France, l'âge légal de la retraite - réduit de 65 à 60 ans en 1982 - est un symbole, une grande conquête sociale que ni le gouvernement d'Edouard Balladur, en 1993, ni celui de Jean-Pierre Raffarin, en 2003, n'ont touchée: tout le monde a le droit de liquider sa retraite à ce moment-là. Mais, pour percevoir une pension complète, il faut avoir totalisé la durée de cotisation requise (40 ans depuis la réforme de 1993, et 41 ans si la loi Fillon s'applique).

La limite des 60 ans est donc souvent théorique: les salariés du privé liquident leur retraite en moyenne à 61,5 ans. «C'est comme les 35 heures, ironise un syndicaliste: c'est la durée légale, mais elle est contournée par la possibilité de faire des heures supplémentaires.»

Alors, pourquoi bouger un curseur devenu purement formel? Parce que la mesure pourrait jouer sur l'emploi des seniors. Aujourd'hui, seulement 53,9% des 55-59 ans sont effectivement au travail, et 37,8% des 55-65 ans.

Le Medef affirme que, si l'horizon de la retraite s'éloigne, employeurs et salariés seront contraints de changer de culture et de comportement: le compte à rebours (le salarié ne s'investit plus dans son travail et le patron ne motive plus son collaborateur) commencerait plus tard. Dans son cinquième rapport (21 novembre 2007), le Conseil d'orientation des retraites (COR) lui-même reconnaît qu'un relèvement de la borne des 60 ans aurait pour effet de reculer le moment des départs à la retraite. Une victoire à la Pyrrhus pour Jean-Christophe Le Duigou, le spécialiste retraite de la CGT: «On ne ferait que décaler le problème, car il y aura toujours une période de précarité de deux ou trois ans précédant la retraite.» Pour la CFDT, une telle prolongation serait inégalitaire. Elle pénaliserait ceux qui, ayant commencé à travailler jeunes, seraient contraints d'attendre un an de plus, bien qu'ils aient cotisé la durée requise.

La France fait cavalier seul en Europe.

Les syndicats devront combattre un argument moins contestable, car chiffrable: le bénéfice financier attendu de la mesure.

Cumulé à l'allongement de la durée de cotisation à 41 ans, le passage à 61 ans permettrait de «réaliser trois fois plus d'économies», affirme Jean-René Buisson, président de la commission protection sociale du Medef, dans Le Parisien du 6 avril. L'organisation patronale a demandé au COR de calculer précisément les conséquences d'un passage à 61 ans et à 62 ans.

Le COR a proposé de mettre le sujet au programme de sa réunion plénière du 16 avril, ce que le patronat refuse: sachant que Xavier Bertrand remettra, à la mi-avril, une trame de la future réforme, il veut que les calculs soient rendus publics avant et va écrire en ce sens à François Fillon, Xavier Bertrand et Eric Woerth, ministre du Budget.

Le Medef est persuadé que l'exécutif partage son analyse mais ne peut pas le dire, parce que le sujet n'a pas été évoqué pendant la campagne présidentielle et qu'il n'est politiquement pas mûr.

La France est le seul pays européen qui a choisi de jouer sur l'allongement de la durée de cotisation plutôt que sur celui de l'âge légal. Toutefois, nos voisins appliquent ces réformes de manière très progressive. Ainsi, l'Allemagne a décidé, en 2004, de porter l'âge de la retraite de 65 à 67 ans à partir de 2011, et jusqu'en 2034.

Quel sera le poids de l'argument financier? Le seul allongement de la durée de cotisation ne suffira pas à combler les déficits à venir. Il faudra probablement le conjuguer à une hausse des cotisations. Et les besoins s'accroissent: l'indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires (loi de 1993) provoque leur lente érosion. «En France, les retraites valent 47% des salaires, contre 57% pour la moyenne de l'OCDE», souligne Jean-Christophe Le Duigou. Pour combattre cette paupérisation, en viendra-t-on à la retraite à 61 ans?

allez au plan de l'exposé

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article